6. La chapelle au temps des Hohenstauffen (1138-1250) et la catastrophe de 1199
Vous l’aurez compris, l’attachement des empereurs germaniques à l’Alsace pendant cette période va favoriser notre région de façon significative. L’aspect le plus spectaculaire est certainement la création de villes fortes (Haguenau, Rosheim…). Les Hohenstauffen ont compris l’intérêt de développer un tissu urbain pour asseoir leur pouvoir et stimuler l’économie ; l’exemple des grandes agglomérations italiennes dans lesquelles ils séjournaient régulièrement y est certainement pour quelque chose.
La situation des habitants du petit hameau de Ste Marguerite quant à elle s’améliore lentement. Les corvées des paysans s’assouplissent et disparaissent même. L’évêque, toujours solide propriétaire du fief epfigeois se rendant compte du peu d’empressement et de productivité des vilains lors de ces travaux pénibles remplace progressivement ces jours de corvée par une redevance annuelle (moins lourde que les travaux). On peut penser même que l’évêque, pour continuer à exploiter sa réserve, faisait effectuer les tâches par les mêmes paysans mais contre rétribution.
A l’ombre de la chapelle, les tenures (terres agricoles louées aux paysans moyennant un cens) se développent ; le temps jusque là astreint aux corvées étant désormais affecté à l’exploitation de ses propres terres.
Le calendrier du Rustican, datant du XVe siècle, représente pour chaque mois le travail agricole dominant (sauf pour le mois de mai qui est illustré par une activité seigneuriale, d’ailleurs souvent néfaste aux paysans : piétinement des récoltes par la cavalcade des chasseurs). Il nous donne une idée de la vie des paysans du hameau Ste-Marguerite.
Janvier : il cure les fossés avec une houe.
Février : il épand du fumier avec une hotte et une bêche.
Mars : il taille la vigne avec une serpe.
Avril : il tond les moutons avec des « forces ».
Mai : il continue les travaux en vue de la prochaine récolte, tandis que le seigneur chasse au faucon.
Juin : il récolte le blé et le foin avec une faux.
Juillet : il moissonne les céréales avec une faucille.
Août : il bat les épis des céréales au fléau.
Septembre : ce sont les semailles, il laboure et sème des graines « à la volée » avec l’araire et la charrue.
Octobre : il foule le raisin avec les pieds pour en extraire le jus qui donnera le vin.
Novembre : il pratique la glandée, grâce à un bâton lancé qui fait tomber les glands des chênes ou les faînes des hêtres qui serviront pour engraisser ses porcs. •
Décembre : il tue le/les cochon(s).
En outre, la proximité des villes nouvelles de Sélestat et d’Obernai, grandes consommatrices de seigle, d’épeautre, de légumes et de vin, offrent un marché pour écouler la production excédentaire. Autour de la chapelle, des défrichements augmentent les surfaces cultivables. Pas de grandes invasions comme aux siècles précédents, timide instauration de la trêve de Dieu qui interdit de guerroyer certains jours de la semaine et de l’année, respect relatif de la paix de Dieu qui protège les biens de l’église, tout cela concourt à un environnement moins dur. Peut-être même que Frédéric II, qui parlait de l’Alsace comme de « la plus chère de ses possessions familiales », a-t-il, lors de ses nombreux séjours, assisté à un office dans la petite chapelle dont l’originalité lui aura été rapportée.
- matines : milieu de la nuit (minuit)
- laudes : à l’aurore
- prime : première heure du jour
- tierce : troisième heure du jour
- sexte : sixième heure du jour
- none : neuvième heure du jour
- vêpres : le soir
- complies : avant/après le coucher.
La cloche actuelle de la chapelle ->
Au moyen âge, les cloches sonnaient les heures canoniales qui rythmaient la vie religieuse et sociale. Les messes étaient quotidiennes et chacun devait assister à au moins un office par semaine et faire la prière tous les jours
La lignée des ducs de Souabe et d’Alsace, pour la même période, est entièrement dévolue aux mêmes Hohenstauffen. Ce qui a limité considérablement les conflits (inhérents à l’organisation de l’Empire, rappelez vous, entre l’empereur et les ducs) puisque la même famille régissait les deux entités.
Et, pourtant, ironie du sort, c’est un Hohenstauffen qui allait marqué d’un trait sanglant l’histoire d’Epfig. En effet, une ombre, et de taille, sur l’évolution jusque là plutôt progressiste de l’Alsace, va ternir le tableau. Entre 1197, date de la mort prématurée de Henri VI (fils de Barberousse), et 1215, l’avènement de Frédéric II (fils de Henri VI), une guerre de succession due au très jeune âge de Frédéric, interrompit brièvement la continuité des Hohenstauffen sur le trône impérial.
Epfig fut une victime collatérale de ce conflit. En effet, l’évêque de Strasbourg du moment, Conrad de Hunebourg, détenteur rappelons le du ban epfigeois, prit le parti d’un des deux compétiteur à la couronne (Othon de Brunswick) ce qui, fâcha considérablement son adversaire (Philippe de Souabe, un Hohenstauffen bien sûr…). Qui, en représailles, s’attaqua à toutes les possessions de l’évêché.
Le cimetière fortifié en haut de la colline, englobant le château épiscopal avec sa garnison, fut détruit en été de l’an 1199. On peut supposer que si les Annales de Marbach relatent cet événement, c’est qu’Epfig devait être une des places fortes importantes de l’évêque. La campagne alentour fut certainement ravagée par les troupes de Philippe de Souabe qui ont dû se payer, comme toute bande de soudards qui se respecte, sur la bête. La chapelle Ste Marguerite fut pourtant, semble-il, épargnée. Elle ne devait pas être un symbole épiscopal puissant, contrairement au palais du château. La Paix de Dieu a peut être aussi joué son rôle. Les pauvres habitants du hameau qui devaient certainement ignorer le nom des protagonistes (savaient-ils seulement le nom de l’Empereur?) ayant sans doute fui et trouvé un refuge, hélas inutile, au castrum. Ou peut être aussi, n’ont-ils pas eu le temps de se mettre sous la protection du château distant de presque deux kilomètres et se sont-ils barricadés dans la chapelle dont les murs épais de plus d’un mètre pouvaient offrir une protection provisoire. Toujours est-il qu’il ne fait pas toujours bon être un sujet de l’évêque. Surtout s’il mise sur le mauvais cheval…
Dans les montants de la porte de la chapelle, une large encoche coudée permettait de bloquer la porte de l’intérieur avec une lourde barre, en cas d’attaque.
Reconstitution du castrum d’Epfig. Vue aérienne.
Basse-cour où travaillaient les artisans et les jardiniers au service du « maître ».
Haute-cour. Espace enceint d’une muraille, réservé au seigneur et à la garnison. La population pouvait s’y réfugier en cas d’attaque.
On ne connaît pas le sort qui a été réservé aux vaincus. Mais l’époque n’était pas à la douceur. Il fallait frapper les esprits. Le représentant de l’évêque qui commandait la place, certainement un chevalier ou peut-être déjà un membre de la famille Von Epfisch, a dû être passé par les armes. Pour l’anecdote, Othon de Brunswick fut brièvement empereur de 1208 à 1215, avant de rendre l’Empire aux Hohenstauffen. Il est resté dans l’histoire pour avoir été défait par Philippe Auguste, roi de France, à la célèbre bataille de Bouvines en 1214, ce qui lui coûta en partie sa couronne. La période de trouble prit donc fin à l’avènement de Frédéric II, devenu majeur, en 1215, qui rétablit l’ordre dans la province. Ce fut le dernier et sans doute le plus grand des Hohenstauffen. Les terres epfigeoises, son nouveau château et notre petite chapelle retrouvèrent alors un climat plus paisible pendant près de 40 ans.