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4. 1025 : la chapelle en pierre…

Maquette de la chapelle en 1025

La date exacte de sa construction n’apparaît dans aucun texte connu. Rien d’étonnant quand on connaît ses si discrètes dimensions et le peu de documents d’époque . Mais des indices fiables la rattachent à ce premier quart de siècle du nouveau millénaire. Le plus parlant étant ce décor caractéristique en arêtes de poisson gravé sur le linteau et les montants du portail d’entrée ainsi que sur les pierres d’angle de tout l’édifice. On retrouve le même motif dans la crypte de la cathédrale de Strasbourg datée aux alentours de 1018 ; motif qui disparaît peu après dans les nouveaux édifices.

     <- Linteau de la porte d’entrée

En 1025, Conrad II le Salique règne sur le Saint Empire Romain Germanique (… à vos cours d’histoire, chers lecteurs), le nouveau nom donné à la Francie Orientale par le trop méconnu Otton III en 962. 

Lorsque les constructeurs entreprennent d’édifier la nouvelle chapelle, nous sommes au tout début du style roman. La robustesse et la simplicité de l’architecture carolingienne et ottonienne sont encore de mise. Pas de fioritures, des murs en moellons grossiers maçonnés à la chaux d’une épaisseur d’un mètre pour pouvoir supporter les lourdes voûtes en berceau. Des pierres taillées pour les angles et les portes, très peu d’ouvertures pour ne pas fragiliser l’ensemble. Le plan choisi n’est pas celui qui est le plus répandu dans l’espace rhénan. On adopte ici le plan cruciforme (croix latine) alors que le plan centré (comme à Otmarsheim) ou le plan basilical (grand rectangle avec une ou plusieurs nefs comme la cathédrale de Strasbourg) sont plutôt de rigueur.

Pourquoi cette originalité epfigeoise? Le plan cruciforme, dont la symbolique parait évidente, est originaire du monde byzantin et s’est propagé autour du bassin méditerranéen, notamment en Italie. Faut-il croire que l’architecte qui a dessiné notre chapelle avait beaucoup voyagé ? Il n’y aurait rien d’étonnant à ça ; l’Alsace était un carrefour très fréquenté (presque obligé) entre la vallée du Rhône et la vallée du Rhin d’une part et entre les francs de l’ouest (les français de l’intérieur d’aujourd’hui) et l’Est germanique d’autre part. Les idées circulaient ici comme les hommes. La variété et les influences diverses des édifices religieux alsaciens de l’époque l’attestent.

Maquette sans la charpente : les voûtes en berceau ->

En 1025 à Apsiac, la communauté religieuse des sœurs de Blangy, qui entre-temps a dû recruter des jeunes femmes de la région, est toujours bien installée dans ses bâtiments conventuels sur le lieu dit appelé aujourd’hui Alte Hof (vieille ferme). Jusqu’à récemment encore, à chaque labour, des vestiges liés à cette occupation ancienne remontaient sous le soc des charrues. Pourtant, à partir de 917, le couvent avait vu déferler les hordes hongroises du funeste Arpad qui ravagèrent à plusieurs reprises l’Alsace après avoir traversé une Germanie affaiblie par des guerres intestines. Les liens avec la puissante abbaye d’Erstein lui ont sans doute été utile pour traverser la tourmente magyare qui, comme les Normands de sinistre mémoire, s’attaquait en priorité aux richesses monastiques et abbatiales.

Peut-être y a-t-il déjà un cloître en charpente adossé à la nouvelle chapelle, précurseur de celui qui sera construit en dur un siècle plus tard, vers 1130. Il est de bon ton pour un monastère, un couvent ou une abbaye de posséder cette galerie couverte de forme souvent carrée qui donne généralement sur un jardin intérieur où il fait bon méditer.

Vue du jardin médiéval de la chapelle Ste Marguerite d’Epfig créé en 2005 par l’association des Amis de la Chapelle. Une représentation toute en symbôles du jardin d’Eden ici-bas.

Sans doute aussi, un petit hameau s’est-il agrégé aux bâtiments religieux dès cette époque : l’ébauche du futur quartier Ste-Marguerite, bien distinct du bourg sur la colline. Un petit peuple de paysans et d’artisans s’installe donc peu à peu à l’ombre du clocher roman et exploite les manses (parcelles suffisamment grandes pour faire vivre une famille) que le seigneur du moment leur a attribué (au meilleur des cas). Il était en effet dans l’intérêt du Dominus (maître) de favoriser de nouvelles implantations que l’on pourrait ainsi taxer. Les plus misérables des serfs offrent leurs maigres services de journaliers pour survivre.
Nous ne savons pas qui était le détenteur de la seigneurie sur laquelle se trouve la chapelle. Mais il est fort à parier qu’ Epfig ne faisait plus partie du domaine royal en 1025

En effet, contrairement au jeune royaume de France qui centralisait le pouvoir et essayait d’augmenter le maigre domaine royal initial aux dépens de la noblesse franque, l’empire germanique était devenu une juxtaposition de duchés largement autonomes. (à l’image de la république fédérale allemande d’aujourd’hui). Les rois et empereurs successifs du siècle précédent avaient, en échange de services rendus, distribué des privilèges d’immunité aux ducs (ainsi qu’ aux évêques et leurs vassaux) qui leur permettaient d’être quasiment maîtres chez eux. A noter que ce sont les grands du royaume, dont les ducs, qui élisaient le Roi.

L’Alsace fait maintenant partie du duché de Souabe. L’homme fort du moment est Ernest II Duc de Souabe (Schwaben en allemand). En alsacien, l’habitant d’outre-rhin est appelé : « de schwoob » même encore de nos jours.

On peut donc supposer que le ban d’Epfig ainsi que la chapelle ont passé entre les mains du Duc ou d’un de ses vassaux à moins que l’évêque de Strasbourg Werner de Habsbourg (le constructeur de la nouvelle cathédrale en 1015 et grand ami de Conrad II le Salique) n’ait récupéré le fief epfigeois en récompense de son soutien à l’élection du précédent souverain. Une bonne partie du foncier alsacien tombera d’ailleurs comme nous le verrons, au cours des siècles suivants, dans l’escarcelle épiscopale. Peut être aussi que l’abbaye d’Erstein aura réussi à conserver ses possessions ancestrales.

Une ferme autour de l’an Mil

Mais, Quel que soit le propriétaire du fief, pour les paysans aux alentours de la chapelle, le système féodal naissant, avec sa hiérarchie allant du suzerain (le duc, le comte, l’abbaye, l’évêque…) aux vassaux, puis jusqu’au serf et même à l’esclave ; le système féodal, donc, leur fait une vie éprouvante tout en bas de l’échelle, d’autant qu’ils ne bénéficient d’aucun droit et ne possèdent évidemment pas, à quelques rares exceptions, la terre qu’ils exploitent durement.

À cela s’ajoutent des jours de corvée sur la réserve domaniale, partie des terres que se garde le seigneur et dont le bénéfice lui revient intégralement. 

Ste Berthe est célébrée le 4  juillet.
« Pour la Ste Berthe, moisson ouverte »

Et pour bien faire, ces pauvres hères se voient prélever chaque année, sur leurs déjà maigres récoltes, des impôts en nature (le dixième de la moisson ou des vendanges pour l’église).
Comptez en plus les taxes de ban, qu’exige le maître pour l’utilisation obligatoire du moulin, du pressoir et du four banal (propriétés du maître), le cens pour la location des terres et la taille lorsqu’il prend au seigneur l’idée de partir aux croisades ou de marier sa fille. Au moins étaient-ils autorisés à faire pacager leurs bêtes dans les communaux (Almende).
Ces espaces partagés, souvent des forêts (le porc est friand de glands comme nul ne l’ignore) permettent de survivre.

Autour du couvent, comme ailleurs, le pain quotidien est donc amer. On peut espérer que les religieuses, qui, elles aussi, travaillaient la terre, règle bénédictine oblige, leur ouvraient les portes de la chapelle. Pour qu’ils y trouvent le réconfort que la religion promet aux pauvres et aux malades. Les reliques de Ste-Berthe étaient d’ailleurs réputées pour aider à soigner, notamment les affections des yeux. Le parallèle avec Ste-Odile (sa voisine de quelques kilomètres) dont la source guérissait la cécité est frappant.

En 1031, un évènement d’importance vient troubler la vie rythmée (ora et labora, «prie et travaille») des bénédictines epfigeoises. Venus de l’abbaye de Blangy reconstruite et transformée en monastère, arrivent un beau jour deux moines, Albin et Ebroïn. Ils frappent à la porte du couvent avec une requête de taille. La translation des reliques de Ste Berthe vers leur lieu d’origine.

Le déplacement ritualisé des restes d’un saint (translatio) permettait au nouvel acquéreur de légitimer et de faire reconnaître l’aspect sacré du lieu qui va les accueillir et, en conséquence, d’attirer le pèlerin et accessoirement l’argent qui va avec. La croyance en la vertu magique des reliques devient telle que, non seulement il était indispensable d’en posséder pour consacrer un nouveau lieu de culte, mais aussi que les gens fortunés se battaient pour se procurer ces amulettes qui conjuraient le mauvais sort ou l’angoisse apocalyptique du passage de l’an Mil. Cela a évidemment donné lieu pendant tout le Moyen Âge à un trafic considérable et lucratif d’ossements sacrés. D’autant que la division des corps était dorénavant tolérée. La crédulité de ces temps difficiles où l’ADN était une notion relativement lointaine a vu apparaître un nombre non négligeable de tibias et de phalanges surnuméraires…

On peut espérer que, dans leur grande bonté, les deux moines picards ont laissé une partie
des reliques dans la chapelle qui les avait si généreusement protégés pendant plus de 200 ans, mais on ne peut s’empêcher de penser que la perte des ossements sacrés ont contribué au déclin du couvent. Apparaît à ce moment de notre récit un éminent personnage  : Léon IX, notre pape. Nous oserons l’appeler ainsi puisqu’il s’agit à ce jour du seul pontife alsacien. Si tant est qu’il soit bien né à Eguisheim et non à Dabo comme le soutiennent perfidement les lorrains.
Issu de la haute noblesse locale (la famille Eguisheim-Dabo), il accède au Saint-Siège en 1048. C’est le cousin du roi Conrad II le salique. Il se fait remarquer très jeune, avant même son élection, par sa volonté de réformer une papauté décadente et corrompue (ses deux prédécesseurs meurent assassinés.). Soutenu par l’empereur au moment de son accession au Saint Siège, il n’en demeure pas moins adepte d’un changement radical : la prééminence du religieux sur le temporel. Dans « Saint Empire », il y a d’abord Saint ; l’Empire (donc l’empereur) vient en second. On devine déjà les conflits qui vont suivre. Léon XI est aussi un grand voyageur car il doit convaincre (même par des excommunications) de sa réforme ambitieuse dans un Empire pas toujours à l’écoute.
En 1049 et 1050, Léon XI revient dans sa chère Alsace où il consacre de nouvelles églises. Celle de l’abbaye du Hohenbourg (Ste-Odile), la petite chapelle St-Jean-Baptiste du proche village d’Eichhoffen et sans doute la chapelle epfigeoise. Une des fresques (tardive certes) du transept montre un haut personnage que certains identifient à Léon XI. On peut supposer qu’à cette date la chapelle était devenue paroissiale ; le couvent ayant cessé ses activités, ce qui justifierait une consécration nouvelle.