2. Pendant ce temps, en terre d’Alsace…
Au moment où Hersende laisse derrière elle les cendres de son abbaye, EPFIG, sur sa colline protectrice, était une de ces villas carolingiennes dotée d’une église (mentionnée dans un acte dès 763 sous le nom d’HEPHEKA) et sans doute d’un palais royal (les rois de cette époque voyageaient de palais en palais) comme l’indique une charte signée à APSIAC par Lothaire II en 866. Vous l’aurez compris, l’orthographe du village a subi au gré des époques, une mise à jour régulière qui complique lâchement le travail de l’historien.
Il faut peut-être à ce stade rappeler aux rares lecteurs qui les avaient oublié quelques dates fondatrices de l’histoire alsacienne.
662 À Obernai, dans le foyer d’Adalric (ou Etichon son autre nom) duc d’Alsace, naît Odile, notre sainte régionale, promise au destin que l’on connaît. Notons qu’elle est quasi contemporaine de Ste-Berthe.
840 À la mort de Louis le Pieux, seul fils de Charlemagne lui ayant survécu (c’est l’avantage de mourir très vieux), l’empire carolingien est divisé entre les trois fils du défunt. L’Alsace revient à Lothaire I (795-855 pour les étourdis) dans une Lotharingie coincée entre la Francie occidentale (future France) de Charles le Chauve, et la Francie orientale (future Allemagne) de Louis le Germanique.
Lothaire est le plus alsacien (même s’il a traîtreusement donné son nom à la Lorraine) des monarques du haut Moyen Âge puisqu’il a épousé la belle Irmengarde, fille de Hugues, Duc d’Alsace, descendant lointain d’Adalric cité plus haut. Très attaché à la région, il résidait régulièrement dans son imposant palais royal d’Erstein à une quinzaine de kilomètres d’Apsiac.
855 Lothaire décède. Sa pieuse veuve, à l’instar de Ste-Berthe 300 ans auparavant, fonde une abbaye royalement dotée par son défunt mari à Herasten (Erstein bien sûr) dont les nombreuses possessions vont jusqu’à…. Apsiac (Epfig, donc) (tiens, tiens…).
Le partage après la mort de Louis le Pieux (840)
864 Irmengarde meurt et laisse l’abbaye d’Erstein entre les dévotes mains de sa fille Rotrude.
870 La Lotharingie (la terre du milieu), disparaît à la mort d’un Lothaire II, (fils de Lothaire I et donc sœur de Rotrude l’abbesse), sans héritier, démembrée par ses deux voraces voisins, Charles le Français et Louis le Germanique.
L’Alsace, après d’âpres luttes, tombe dans le giron du futur empire germanique et y restera pendant plus de 700 ans. À partir de cette date, l’histoire de la chapelle s’inscrit dans celle de la future Allemagne et donc dans la langue germanique. L’accent alsacien aura, on le voit, le temps de se forger et de mûrir…
Fin 895, nous retrouvons Rotrude, la nouvelle abbesse d’Erstein qui, (les choses se précisent) accueille sa consœur picarde, Hersende toujours en fuite, accompagnée de ses religieuses et de ses reliques. Leur rencontre n’est peut-être pas le fruit du hasard : les moniales des deux abbayes sont toutes issues de familles nobles. Malgré la distance, un lien existait-il entre les deux communautés ? La rencontre se fait d’abord à Mayence où Rotrude participait à un synode. Dans sa grande bonté, elle propose aux fugitives de s’installer dans un premier temps sur ses terres ersteinoises avant de leur offrir quelques arpents à… Apsiac, à quatre lieues de là, où elles pourraient s’installer en attendant des temps meilleurs.
La première page de l’histoire de la chapelle Ste-Marguerite d’Epfig est écrite.
La fuite des sœurs de Blangy en 895 (entre pointillés, l’ancienne Lotharingie)
Osons au passage l’hypothèse que la mention « signé à APSIAC, villa royale » par Lothaire II le 12 juin 866 (mentionnée plus haut) accrédite l’idée qu’Epfig était alors sous administration royale directe pour son domaine (autour de la villa royale qui correspond en gros au quartier actuel de l’église), et sous l’autorité de l’abbaye d’Erstein pour tout ou partie du reste de son ban. Cela donne une idée du complexe morcellement foncier de l’Alsace d’alors. Pour illustrer cet émiettement, on peut citer la proche vallée de Ste-Marie aux Mines et les environs de Kintzheim qui appartenaient, eux, à la lointaine abbaye de St-Denis.
Il paraît donc logique que Rotrude ait pu accorder des terres à Epfig qui était en quelque sorte un bien familial hérité, avec son frère, de leur père Lothaire I.