10. Une guillotine et un monument historique
Le début du XVIIIème siècle fut marqué par le terrible hiver 1709. Le froid fut si intense que les vignes gelèrent et que pas une baie de raisin ne fut récoltée aux vendanges suivantes. Les viticulteurs epfigeois firent donc une année blanche, heureusement suivie par des millésimes meilleurs notamment en 1715.
Notons que la chapellenie de Ste Marguerite se devait de livrer régulièrement des quantités conséquentes de vin au rectorat d’Epfig : ainsi en 1578 elle dût s’acquitter de 22 ohmes (environ 1000 litres) à l’autorité religieuse locale (donc sans doute à l’évêché).
< Pressoir alsacien du XVIIème siècle.
Depuis 1648, on naît français autour de la chapelle. Mais Louis XIV et Louis XV « ne touchent pas aux usages de l’Alsace ». On continue de parler l’alsacien et les institutions anciennes perdurent. On estime par exemple qu’à peine 5 % de la population alsacienne parle le français et que 10 % le comprennent en 1789 ! Autour de la chapelle, certains paysans s’enrichissent, mais la majorité ploie sous l’augmentation sans fin de la pression fiscale à la fois royale et seigneuriale. Ajoutez à cela deux récoltes catastrophiques en 1787 et 1788 et nous voilà prêts pour la Révolution.
Dans le cimetière de la chapelle Ste Marguerite, un peu à l’écart, un monument rappelle au promeneur qu’ici aussi la Prise de la Bastille a eu des conséquences. Les révolutionnaires farouchement anti cléricaux ont trouvé à Epfig une population très attachée à la religion catholique, présence séculaire de l’évêque oblige.
Obligé de fuir ou de se soumettre au nouveau « culte de la Raison », le clergé local est bien sûr réfractaire. Le Cardinal de Rohan, propriétaire du château épiscopal d’Epfig que nous avons maintes fois rencontré dans ses lignes, se réfugie en Allemagne.
Vendu comme Bien National, le palais est acheté par le juge de paix, Armand Kuhn, un notable epfigeois considéré et apprécié. Dans le but secret de le restituer, lorsque les choses reviendraient à leur ordre normal, au Cardinal.
Mais la Terreur, sous les traits d’Euloge Schneider, un révolutionnaire fanatique, va marquer dramatiquement la mémoire du village. Sur la liste des suspects « contre-révolutionnaires » epfigeois, à côté de deux autres habitants qui ont eu la langue trop pendue et qui ont aidé le curé réfractaire, Armand Kuhn est condamné à mort. Il est guillotiné avec Hessel et Schlegel, le 11 décembre 1793.
La nuit avant l’exécution, les trois condamnés avaient eu le secours de la religion grâce à un abbé insoumis qui s’était laissé enfermer, incognito, à côté d’eux, et qui leur avait donné l’absolution.
Les excès de la révolution de 1789, appelée pourtant de ses vœux par la population, vont donc ternir son image auprès des alsaciens, à qui on reprochait aussi, entre autres, une proximité linguistique et géographique avec l’ennemi.
Ce qui ne sera pas le cas pour Napoléon Bonaparte. L’empereur a eu pour l’Alsace une considération particulière, peut-être parce que lui aussi venait d’une région éloignée de Paris où l’on ne parlait pas français non plus. « Jargonner en allemand, pourvu qu’ils sabrent en français ».
Il autorisait l’usage des dialectes dans son armée. L’Alsace lui donna donc quelques grands généraux (Kléber, Rapp…) et dans le petit cimetière de la chapelle, une autre stèle illustre la sympathie locale pour le grand homme puisque Napoléon et Joséphine sont enterrés ici côte à côte. (Même s’il s’agit de Napoléon Spitz et de Joséphine Reibel, des habitants du hameau à qui les parents avaient donné leurs prénoms illustres).
Au courant du XIXème siècle, un manque d’entretien et sans doute une désaffection due à la construction de la nouvelle et grande église paroissiale au centre du village voient la chapelle peu à peu se dégrader au point qu’elle est quasiment en ruine aux alentours de 1870.
Heureusement, un grand mouvement de protection des bâtiments anciens voit le jour sous la forme d’une commission des monuments historiques.
Notre chapelle est classée en 1876 et bénéficiera de gros travaux dirigés par l’architecte Ringeisen de Sélestat et exécutés par l’entrepreneur local Victor Wolff. C’est à cette occasion que l’on mit à jour des fresques recouvertes depuis longtemps par un badigeon.
Photo de la chapelle au début du XXème siècle, après la rénovation.
On peut remarquer l’état du cimetière qui, lui, était resté assez « sommaire ».