1. … Avant la chapelle : … Ste Berthe
Les origines de la chapelle Ste-Marguerite d’Epfig sont donc incertaines. Mais les sources anciennes qui sont parvenues jusqu’à nous sous forme de tradition, notamment les « Vies de Saints », (vita sanctorum en latin) en l’occurrence ici « la vie de Ste-Berthe et la translation de ses reliques », nous font remonter l’horloge jusqu’aux obscurs et souvent sanglants temps mérovingiens. Depuis le déclin total de Rome à la fin du 5ème siècle et l’établissement de ce qu’on peut appeler la barbarie franque, seuls savaient encore écrire les clercs et les moines copistes. Leur littérature se résumait souvent à des biographies plus ou moins fidèles de saints (hagiographies) ou de rois et à des copies des livres sacrés, plus rarement des classiques grecs et romains qui arrivaient à passer sous les fourches de la sévère censure ecclésiastique.

L’histoire de Ste Berthe a été écrite vers la fin du XIème sans doute par un moine de l’abbaye de Blangy (Picardie). C’est Jean Daniel Schoepflin, premier historien alsacien (1694-1771), qui a identifié dans un passage du texte la référence à la chapelle Ste Marguerite d’Epfig, sur laquelle nous avons basé notre histoire.
<- Moine copiste dans son scriptorium
Donc, nous voilà précisément sous le règne de Clovis II (à ne pas confondre avec son ancêtre Clovis qui vécut 150 ans auparavant). C’est le fils d’un certain Dagobert qui régna, comme chacun sait, de 629 à 639 sur un royaume franc enfin réuni par ses soins, malgré quelques déboires vestimentaires bien connus. Notre bon roi avait alors un valeureux conseiller militaire, Rigobert qui épousa Ursanne, la fille d’un monarque du Kent. De ce mariage quasi royal célébré en grandes pompes, naquit Berthe. Tout ça dans la belle région de l’Artois qui, nous direz-vous à juste titre, est bien loin de chez nous… Certes.
Et pourtant…
L’histoire de la future chapelle Ste-Marguerite peut commencer. Et elle commence sans doute là bas.
Berthe de Blangy, car c’est dans ce village picard qu’elle naît en 642, grandit dans le château de son père et épouse, comme il se doit, le riche et puissant comte Sigefroi en 661 qui meurt hélas en 678 en lui laissant trois filles et une fortune considérable.
Notre veuve, comme beaucoup de femmes nobles de ce temps, se réfugia dans la religion et fonda une abbaye qui allait devenir une des plus célèbres, et richement dotée de ce qui est aujourd’hui le Pas-de-Calais. L’abbaye de Blangy sur Ternoise.
On en profitera pour préciser que les abbayes de ces temps reculés étaient bien sûr des établissements religieux de première importance qui attiraient autant les pèlerins (grâce notamment aux indispensables reliques) que les donations faites par les aristocrates francs, et les plus humbles aussi, en rémission de leurs nombreux péchés. Ils espéraient ainsi gagner plus facilement un paradis que l’omniprésente religion promettait à leur âme angoissée et, il faut bien le reconnaître, souvent superstitieuse.
Mais les abbayes étaient aussi de véritables centres économiques, à l’écart des agglomérations antiques, parfois fortifiés, qui possédaient et géraient des biens fonciers souvent très étendus (fruits de décennies des donations mentionnées plus haut) et produisaient de l’artisanat dont elles faisaient commerce.
En un mot, la richesse mérovingienne y était en partie concentrée. La France d’alors était presque exclusivement rurale; la chute de l’Empire romain en 476, qui fut aussi un désastre culturel, était passée par là. Les villes s’étaient durablement dépeuplées, voire même vidées, sous l’assaut des invasions successives. La civilisation urbaine si florissante de Rome avait laissé la place à un paysage de petites communautés (les villas) où seule l’église et parfois un seigneur bienveillant tenait lieu de secours moral. En ces temps de triste régression le malheur et la mort rodaient à chaque pas.
Nous verrons que cette relative prospérité religieuse attirera plus tard les convoitises des peuples venus du nord.
Les saints sont souvent représentés avec leurs attributs. Ste-Berthe tient dans ses mains l’abbaye* qu’elle a fondée.
*Pour accéder à la qualité de saint, fonder une abbaye était une voie royale, comme mourir en martyr ou faire des miracles.

Mais revenons à Berthe. La future sainte devient logiquement la première abbesse de Blangy sur Ternoise. Ses contemporains lui attribuent des miracles et une vie exemplaire. Son abbaye rayonne et prospère, favorisée par le roi qui lui octroie des privilèges (exemption de taxes, revenus dédiés…). Elle y accueille des jeunes femmes nobles et ces nouvelles moniales embrassent la règle bénédictine faite de prière et de travail. Berthe meurt dans ses murs, en odeur de sainteté en 723, laissant ses filles Gertrude puis Déotile lui succéder.
La communauté religieuse picarde traverse ainsi, bon gré mal gré, les deux siècles suivants qui voient, dans un premier temps, le royaume mérovingien se déchirer en luttes intestines et meurtrières. La faute à une règle de succession catastrophique ; le roi pouvant disposer de son territoire comme un bien personnel qu’il divisait en général entre ses enfants à sa mort.
Les reliques de Ste-Berthe, puis de ses filles, dont le pouvoir miraculeux continuait bien sûr à opérer, disait-on, au-delà de la mort, sont gardées précieusement ainsi jusqu’en 895 au sein de l’abbaye.
Les reliquaires richement décorés font partie avec les ciboires, les ostensoirs, les crucifix du Trésor (ensemble des objets religieux) d’une abbaye ou d’une cathédrale.

On imagine mal aujourd’hui l’importance énorme des reliques dans l’imaginaire superstitieux médiéval. La croyance en l’intercession des saints était, dans une certaine mesure, la continuation du culte des innombrables dieux païens qu’invoquait le peuple avant l’arrivée du christianisme.
Des mérovingiens, on était passé aux carolingiens, dont notre Charlemagne (742-814), (nous ne vous apprenons rien) édificateur d’un empire qui s’étendait sur la moitié de l’Europe.
À noter que Karl der Grosse était bien plus allemand que français puisqu’il est né en Allemagne, parlait le tudesque (ancien allemand) et avait fait d’Aix la Chapelle (en Allemagne bien sûr) sa capitale. N’en déplaise à nos vieux manuels d’histoire, nos amis d’outre Rhin le revendiquent aussi, à juste titre, comme l’un des leurs.
Mais, comme chacun sait aussi, les empires passent. De la Scandinavie, sur leurs drakkars à fond plat, descendirent par vagues incessantes des guerriers sauvages attirés par des richesses que les successeurs de Carolus Magnus, redevenus aussi divisés et maladroits que leurs prédécesseurs, ne pouvaient plus protéger.
Première cible des vikings, les abbayes, bien sûr, qui regorgeaient de trésors accumulés sous forme, entre autre, d’objets de culte en or ; rien n’est trop précieux pour vénérer Dieu.
La géographie étant ce qu’elle est, les côtes picardes furent les premières concernées et l’abbaye de Blangy, après avoir été épargnée en 880 et 882, subit l’assaut fatal des hommes du Nord en 895.
L’abbesse Hersende, alors en charge de l’abbaye, décida de fuir, emportant avec elle ses moniales et les saintes et précieuses reliques de Berthe et de ses filles.
Et c’est ce voyage vers l’Est qui signe le début de notre histoire.